Chronologie d’un film à venir

1996 - 2005

par

Izù Troin

 

1996,

je suis en 1er année aux beaux-arts de Montpellier, Je viens de terminer mon premier film Conte d’une nuit d’hiver (6 min. en 16mm). Je commence le story-board d’un nouveau film Conventuel’s band (10 min en 35 mm, produit par LA FABRIQUE). Je tombe par hasard sur une nouvelle de Guy de Maupassant intitulé l’Auberge : c’est une histoire se déroulant dans une auberge de Haute montagne , Chaque hiver les neiges l’isolent en la rendant totalement inaccessible.

Quelques semaines avant les neiges, les propriétaires (un couple et leur fille de dix-neuf ans Louise) rejoignent donc leur village dans la vallée et confient la garde de l’établissement à deux montagnards Ulrich et Gaspard. Un matin Gaspard, le plus vieux et experimenté des deux par à la chasse et ne revient pas. Ulrich, le plus jeune, se retrouve alors seul face à ses angoisses et à ses peurs et se commence peu à peu à perdre la raison…

je me dis que l’histoire pourrait faire un bon court-métrage et je fais quelques petits croquis sur une feuille de papier… et je l’oublie…

 

 

Juin 2002.

Après avoir achevé le court-métrage Conventuel’s Band et avoir fait un petit film d’une minute l’année précédente, je viens d’achever mon film de fin d’étude à la Poudrière (Le Carnet, 4 minutes en 35mm Cinémascope). La directrice de l’école nous informe que cette année, la région Rhône-Alpes vient de créer une bourse d’aide à l’écriture de 3000 euros et cherche des projets. Je n’ai pas trop d’idée à ce moment-là et je me dis qu’il pourrait être intéressant d’adapter une nouvelle…

Chaque film que j’ai réalisé jusqu'à present se déroule dans une époque spécifique : Conte d’une nuit d’hiver dans le futur, Conventuel’s Band au Moyen Äge et Le Carnet dans le présent. Depuis longtemps, j’avais envie de faire un film qui se déroule au XIXe siècle dans le style romantique. Je me dis que Maupassant serait une bonne source et je repense alors à la nouvelle L’auberge que j’avais lue 6 ans auparavant.

J’écris alors un petit synopsis et une note d’intention afin de présenter le projet à la Région.

Pendant l’été qui suit je commence à travailler sur le scénario et prenant le parti pris de ne pas faire de dessins pour le moment et de me concentrer exclusivement sur l’écriture.

Je relis le texte en sélectionnant les passages qui m’intéressent (je les recopie bout à bout), une fois ce petit montage fait, je commence à me demander quels éléments retenir dans ce texte. Là je commence à adapter le texte et je retravaille un peu la structure : le film débute par la fin tragique de Louise dans un asile de fous et l’histoire devient alors un vaste flash-back

J’ajoute aussi une histoire d’amour qui finira par prendre de plus en plus d’importance au fil des versions du scénario. Je suis alors aidé par la scénariste Anetta Zucchi qui m’apporte ses conseils pour structurer l’histoire.

 

Octobre 2002.

J’apprends que je suis lauréat de la bourse à l’écriture de la région Rhône-Alpes.
Je commence à dessiner le story-board. Je pense alors faire un film d’environ 12 minutes.

 

Fin 2002.

Je dépose un projet au CNC (Centre national du cinéma)*1 où il est refusé par le comité de lecture qui me laisse toutefois la possibilité de le représenter et l’occasion de retravailler la psychologie des personnages jugée trop plate.

 

Début 2003.

Je constitue un dossier pour le concours international de projets du festival d’Annecy. Je fais des recherches graphiques, les personnages commencent à prendre forme, je décide alors que le film se fera en Cinémascope (comme le Carnet, mon film de fin d’étude) afin de mettre en valeur les paysages enneigés des Alpes Suisses et de faire référence au western (Il était une fois dans l’Ouest en particulier). C’est un format qui, par sa largeur, m’intéresse particulièrement car il permet vraiment de s’immerger dans l’image. En plus le Cinémascope est très rarement utilisé dans les courts-métrages d’animation.

Je commence à prendre des parti pris par rapport aux éclairages, je voudrais traiter le film en utilisant beaucoup de clair-obscur. Comme sur le film Le Carnet, je fais appel à la directrice de la photo Claude Garnier (qui a notamment travaillé sur Himalaya et sur les films de Tony Gatlif) afin de m’aider sur le cadrage de chaque plan du story-board et les éclairages de chaque séquence.

Le réalisateur Bernard Palacios*2 m’aide également sur le découpage du film et par son enthousiasme par rapport au projet, me donne du courage pour la suite.

 

Avril 2003.

Dans un festival où je suis invité pour présenter mon film de fin d’étude, je rencontre un scénariste (Patrick Vanetti) auquel je fais part de mon projet qu’il trouve intéressant.
En rentrant chez moi à Valence, je lui envoie le scénario sur lequel il me fait quelques remarques et me donne des conseils.
Parallèlement, je travaille au studio Folimage. Je réalise le générique final de La prophétie des grenouilles de Jacque-Remy Girerd et je conçois le nouveau logo du studio.

 

Mai 2003.

J’apprends que je suis sélectionné dans les dix meilleurs projets du festival d’Annecy.

A côté, je réalise plusieurs génériques pour des films de Folimage, dont celui du pilote du film de 52 minutes Le chevalier au lion. A cette occasion, je rencontre le réalisateur Sylvain Vincendeau, dont je connaissais le travail (le film Parole en l’air et l’animation de la tortue dans La prophétie des grenouilles), Nous parlons de nos projets reciproques. Ça lui plait et me propose, si un jour ça se concrétise, d’être animateur sur le film.

 

Juin 2003.

Je reçois le grand prix du festival au concours de projet. A ce moment-là, plusieurs producteurs sont alors intéressés par le film. Je prends contact avec Arnaud Demuynck, (producteur belge) qui veut voir le dossier et lire le scénario.

Juste après le festival, il me fait part de son intérèt pour le film, tout en me disant qu’a son avis le film durera plus de 20 minutes (et non 12 minutes comme je l’imaginais) et qu’il ne peut pas s’engager financièrement dans un projet d’une telle importance.

Quelque semaine plus tard, une autre production (Sacrebleu production) me contact et me dit qu’ils ont vu le projet à Annecy et qu’ils aimeraient peut-être le produire. Pendant deux mois, ils paraissent très motivés, mais au mois d’août 2003, abandonne le film car il ne correspondait pas à leur ligne éditoriale. Je me retrouve avec mon projet sur les bras.

Je viens alors de terminer la première version du story-board et de l’animatique et je m’aperçois que le film est beaucoup plus long que ce que j’imaginais : il dure alors 22 minutes.

À ce moment-là, je donne un dossier à Claude Garnier (la directrice photo), elle peut le transmettre à un réalisateur (Jean-marc Moutout) qu’elle connaît pour avoir travaillé sur son dernier film (Violence des échanges en milieux tempérés). Le dossier arrive chez TS production qui me contact : le producteur, Anthony Doncque est tres intéressé même s’il estime qu’il y a des problèmes au niveau du scénario. Il me demande de faire un travail de réécriture car il trouve alors l’histoire trop simpliste et éloigné de l’univers psychologique de Maupassant. Même si beaucoup de points sont à revoir à ce stade du scenario, envisager de tels changements dénaturerait le film que je voulais faire. Je décide donc de chercher ailleurs.

Je sollicite alors Patrick Vanetti, le scénariste qui m’avait beaucoup aidé par ses conseils de reprendre le scénario et de le réécrire. À ce moment-là, j’avais à peu près écrit 6 versions du scénario.

Après un travail de quelques mois, je lis la version que le scénariste a écrite et je suis tres impressionné par la tournure qu’a prise l’histoire, il a alors retravaillé la structure de l’histoire en se concentrant sur le point de vue du personnage principal, il enlève aussi la structure en flash-back. Autre changement important, il me propose un autre titre : Ceux d’en Haut. Ce titre vient d’une phrase que prononce le personnage quand il voit Louise pour la dernière fois.

Extrait du scénario :

Louise vêtue d’une veste de laine sort de l’auberge, vivement, pour rejoindre ses parents. Dans son dos, Ulrich l’interpelle.

ULRICH (murmurant)

Louise…

Elle se retourne un instant.

ULRICH (bas)… N’oubliez pas ceux d’en haut.

Louise semble le lui promettre du regard.

LOUISE (très bas, dans un souffle) Promis.

 

Janvier 2004.

Je suis au festival de Clermont-Ferrand. J’y rencontre le producteur de TS productions (qui m’avait demandé tous les changements). Je lui donne la nouvelle version du scénario écrit par Patrick Vanetti. La semaine suivante il me rappelle pour me dire que l’histoire lui semble meilleur mais que la psychologie des personnages n’est pas encore assez étoffée, on ne ressent pas à la lecture du scénario les sentiments qu’ils éprouvent. On en discute alors avec le scénariste et l’on déscide de faire une nouvelle version (la 11e) en tenant compte des remarques du producteur. Il se remet alors au travail en mettant l’accent sur les rapports ambigus des personnages. Il change alors la fin du film en la focalisant sur le personnage de Louise, élément déclencheur de la folie et des fantasmes d’Ulrich.

Je me rends également avec mon scénariste chez Jean-François Laguionie*3 afin d’avoir son avis. Il me propose alors plusieurs idées pour le film, surtout au sujet du mystère qui doit planer pendant les premières minutes du film. Et surtout il nous rappelle que le film est un film de genre (angoisse) et qu’il y a certains codes à respecter (même s’ils ne sont pas appliqués forcement à la lettre) afin de faire monter la tension chez le spectateur.Une semaine plus tard, je lis la nouvelle version du scénario, je suis touché par l’émotion qui se dégage à la fin du film . Je me dis que l’on tient l’histoire, car si je suis ému par l’histoire, les spectateurs pourront l’être aussi…

A TS productions, le producteur est satisfait par cette nouvelle version du scénario et décide de s’engager sur le film et de le présenter au CNC.

Pendant quelque mois (de mars à juin 2004) je travaille sur le graphisme avec Morten Riisberg Hansen (un animateur qui a travaillé pour DreamWorks et sur La Prophétie des grenouilles à Folimage). Il réalise alors les model-sheet des personnages (modele de référence pour l’animation), je lui propose alors de refaire le story-board avec moi. Il réalise aussi quelques essais d’animation afin d’être sûr des techniques à utiliser. Sur le film son poste serait superviseur de l’animation. Je refais alors des dossiers et le projet est déposé au CNC pour la commission de lectures de juillet.

Entre temps le producteur de Folimage pour qui je travaille souvent accepte de s’engager pour la réalisation technique du film et comme coproducteur du film.Le projet est alors accepté à l’unanimité par le comité de lecture du CNC, il trouve le graphisme extrêmement beau et le scénario très bon. Le film peut alors passer en commission plénière en septembre, c’est cette commission qui donne l’avis définitif et décide de l’aide attribuée au film.

Folimage fait alors un premier devis estimatif qui se monte à 450 000 euros (le film dure alors à peu près 28 minutes).

 

Mi-septembre,

le producteur m’annonce que le film a été refusé par la commission du CNC. Refus motivé par le graphisme jugé trop classique et traditionnel et une histoire trop proche d’un film en vue réelle. Ils trouvent que je n’utilise pas suffisamment les possibilités graphiques de l’animation et que le tout ressemble à un épisode de série TV. Le CNC nous laisse alors la possibilité de le représenter, mais on est alors très fortement incité à retoucher le film en fonction de leurs remarques. Entre-temps le producteur qui avait vu mon projet à Folimage part pour un autre travail.

Le producteur me propose de remanier le film afin qu’il corresponde mieux aux attentes du CNC et qu’il obtienne éventuellement l’aide. Je refuse (sauf pour quelques critiques concernant le rythme vers le milieu du film). À partir de là, tout devient un peu problématique, car l’aide financière du CNC représente une bonne partie du budget. De fait, à Folimage, le projet est un peu mis de côté.

À cette période, un certain découragement commence à me guetter. Je commence, moi aussi, à avoir des doutes… Mais je n’arrive pas, après deux ans de travail sur ce projet, à concevoir qu’il ne se fasse pas. Pendant ces deux années, j’ai vécu avec ce film et je ne veux pas le laisser tomber maintenant, j’y tiens trop ! Je me remets au travail car, très égoïstement, j’ai envie de voir ce film, d’en être le spectateur… tout en espérant que ce film puisse plaire à d’autres personnes… je ne peux pas être le seul à aimer ce style de film !…

On se dit que notre seule chance est de trouver un diffuseur TV (ce qui permet d’obtenir une autre aide du CNC destinée au programme TV). Le scénariste réécrit alors une nouvelle version du scénario (la 17e) afin de corriger certains problèmes de rythme et de réduire le film à 26 minutes (durée des unitaires TV standard).

À TS productions, le producteur m’annonce qu’il faut que je me prépare à ce que le film ne se fasse pas si on ne trouve pas de chaîne de télévision...

 

Novembre 2004.

A cette période, je travaille sur un court-métrage à Folimage : La tête dans les étoiles de Sylvain Vincendeau. Comme nous nous étions bien entendu sur le pilote du Chevalier au lion, il m’avait proposé de faire le compositing de son film (assemblage de tous les éléments d’animation et de décors afin de produire les images finales du film).

Dans une discussion autour d’un café, je parle de mon projet avec le nouvel administrateur (remplaçant de l’ancien producteur) et il est tres intéressé par le film tout en étant étonné de ne pas en avoir entendu parlé depuis son arrivée 3 mois plus tôt.

 

Décembre 2004,

Afin de réaliser un pilote de mon film (quelques plans terminés bout à bout), Xavier Cruz, un animateur, accepte bénévolement de faire un plan du film (dix petites secondes qui finiront par lui demander un mois de travail !). Sylvain Vincendeau me propose à son tour de me faire l’animation d’un autre plan.Je fais également des enregistrements pour les voix maquettes avec Loïc Burkhardt qui s’occupe habituellement du son des films réalisés à Folimage. Grâce à l’aide et au temps de ces quelques personnes qui m’ont aidé je peux faire un montage de 2 minutes 30 du film afin de pouvoir le montrer à d’éventuels financiers…

 

Janvier 2005.

l’administrateur de Folimage, relance alors le projet en le faisant passer à plusieurs personnes du studio. Après des avis plutôt positifs, nous refaisons un nouveau budget en vue d’en faire un 26 minutes TV. Dans ce budget nous sommes obligés de sacrifier la fabrication d’une copie en 35 mm pour le cinéma. À partir de là, j’essaye d’adapter techniquement le film au format TV tout en gardant la qualité d’un court-métrage cinéma. j’envisage alors de travailler en Haute Définition et de faire le film dans deux cadres différents : une base en Cinémascopes (dans l’éventualité d’un report 35mm) et une version recadrée en 16 :9 pour la TV.

Petit à petit, nous arrivons à descendre le budget à 250 000 euros (au lieu des 450 000 euros prévus). Mais, d’après le producteur, vu que ce n’est pas un film pour enfant, il sera très difficile de trouver 150 000 euros, peu de chaînes en effet ont l’habitude de diffuser ce genre de film.

 

Mars 2004.

Folimage trouve que réaliser ce film serait trop risqué financièrement et je me retrouve à nouveau seul…Je fais alors la rencontre d’Olga Marchenko qui est réalisatrice (et étudiante à la Poudrière). Le projet l’intéresse beaucoup et elle me propose de m’aider à travailler sur le projet. Nous commençons donc à approfondir certains éléments graphiques du film, elle m’aide également sur la narration de certaines séquences.

 

Avril 2004.

Je demande au festival d’Annecy (où j’avais obtenu le grand prix au concours de projets deux ans plus tôt) s’ils sont intéressés par le pilote du film. On me propose alors de le projeter le jour de la remise des prix du concours de projets. Je dois aussi participer à une présentation où j’ai 30 minutes pour présenter le projet devant les producteurs et diffuseurs.

Je décide de retravailler le pilote pour sa présentation au festival. Benjamin Van Migom (le compositeur de la musique) réussit à obtenir un quatuor à cordes pour interpréter la musique. Loïc Burkhardt prend quelques jours sur son temps libre pour créer les bruitages et finaliser la bande sonore.

 

Janvier 2005

Le film n'a toujours pas trouvé de financement. Je commence le travail sur le compositing de "Mia et le Migou" je descide de mettre "Ceux d'en Haut de côté...

Janvier

A suivre…

 

 

*2 . Bernard Palacios est un réalisateur que j’ai rencontré alors que j’avais 16 ans. À l’époque, j’étais au lycée et je ne connaissais personne qui travaillait dans le cinéma. Dans le générique du film Gwen de Jean-François Laguionie, j’avais remarqué que le studio La Fabrique se trouvait dans un petit village du Gar, pres de Nîmes (à l’époque j’habitais Arles). J’avais alors téléphoné aux renseignements afin d’avoir leur adresse. Je leur ai écrit et la secrétaire (Barbara Heider que je ne remercierai jamais assez d’avoir fait suivre cette lettre) m’a mis en contact avec Bernard Palacios qui faisait un film à la fabrique. Je lui ai alors montré les petits essais d’animation que j’avais fais ainsi qu’une version en super 8 de La Fuite (qui allait plus tard devenir Conte d’une nuit d’hiver). Il m’a prêté un caméra 16mm afin que je fasse mon premier film. Depuis maintenant 10 ans, il suit mon travail sur chaque film et me conseille.

*3. J’ai découvert le travail de Jean-François Laguionie par ces livres illustrés quand j’avais 7 ans sans savoir qu’il était également réalisateur. J’ai ensuite vu ses films et je peux dire sincèrement que c’est son moyen-métrage La traversée de l ‘Atlantique à la rame (palme d’or du court-métrage Cannes 79) qui m’a donné envie de faire des films. Son travail représente tout ce que j’aime dans les films d’animations, il a réalisé également trois long-métrages : Gwen, le livre des sables, Le château des singes et L’Iles de Black Mòr. Son style contemplatif (cf. : Gwen) m’a énormément influencé. Je l’ai rencontré la première fois dans son studio de la Fabrique et il a produit par la suite mon film Conventuel’s Band.